Prochaines séances

Le 29 novembre, Josyane Savigneau viendra nous présenter son dernier ouvrage, La passion des écrivains, Rencontres et portraits (Gallimard, 2016).

La séance du 10 janvier 2017 sera dédiée à une lecture de Marcel Proust. Proustologue, proustophile ou proustophobe, chacun trouvera de quoi alimenter sa curiosité avec des articles et ouvrages récents à propos de A La Recherche du Temps Perdu. Citons, par exemple, la publication d’un fac-similé des épreuves imprimées de Un amour de Swann (Gallimard) ; l’article du magazine Books, Le monde entier est proustologue (nov 2016); ou encore l’ouvrage Un été avec Proust (Editions des Equateurs, 2014) qui rend compte des émissions diffusées sur France Inter en 2013.

Et pour les insomniaques, le texte intégral de À la Recherche du temps perdu, 35 CD,128 h d’écoute, Proust lu par André Dussollier, Lambert Wilson, Denis Podalydes, Guillaume Gallienne, Robin Renucci, Michaël Londsale (Éditions THÉLÈME).

Notre séance s’intéressera plus spécifiquement à Du Côté de chez Swann, ceci pour commencer par le commencement «Longtemps je me suis couché de bonne heure» ; mais on compte parmi l’assemblée quelques Proust-addicts qui nous conduiront jusqu’à l’ultime page du Temps Retrouvé.

 

Lectures à partager

Un temps pour nos diverses appréciations des récents prix littéraires, de Chanson Doucede Leîla Slimanià Babylonede Yasmina Reza ou encore Laetitia de Jablonka.

Une attention particulière pour Mitteleuropa (Gallimard, 2015), le livre d’Olivier Barrot (auteur de l’émission littéraire Un livre, Un Jour). Cet «exercice de cartographie littéraire raconte les voyages, lectures, films et musiques qui ont permis à Olivier Barrot de renouer petit à petit le fil avec la lointaine Bessarabie, l’actuelle Moldavie, d’où sa famille maternelle est partie un jour, au début du XXe siècle, pour s’installer en France».

La parole aux libraires

Jessica nous recommande Le Garçon, de Marcus Malte, (Zulma, 2016) lauréat du prix Femina 2016; et le bouleversant Et tu n’es pas revenu coécrit par Judith Perrignon et Marceline Loridan-Ivens (Livre de Poche).

Actualités

En ligne de mire, le Festival de Littératures Européennes de Cognac du 17 au 20 novembre 2016, avec notamment la présence de Lenka Hornakova-Civade (voir CR d’octobre 2016).

Russell Banks

Gérard présente quelques points clés de la biographie et de l’œuvre de Russell Banks. Auteur d’une douzaine de romans, de nouvelles et de poésie, Russell Banks est membre de l’Académie américaine des Arts et Lettres. Trois de ses romans ont été adaptés au cinéma (De Beaux Lendemains, Affliction, Trailerpark). Il a écrit l’adaptation cinématographique du roman de Jack Kerouac, Sur la route, pour Francis Ford Coppola. Son œuvre est traduite dans une vingtaine de langues. En effet, si les romans de Banks interrogent d’abord la cons­cien­ce collective américaine, ils soulèvent plus largement d’amples et complexes questions politiques et éthiques. Banks renoue d’une part avec la tradition des grands romanciers des fractures sociales, tels Dos Passos et Steinbeck ; d’autre part, il interroge le rêve américain dès lors que «la culture américaine est celle de l’acceptation, de la croyance aveugle en son destin» (Books, 10. 2011).

On s’arrête plus spécifiquement sur Continents à la Dérive, un roman paru en 1985, réédité dans une nouvelle traduction en 2016 (Actes Sud) et d’une terrifiante actualité, comme le souligne Banks : «On y retrouve les mêmes thématiques, drame des réfugiés, conséquences de la mondialisation et de la dérégulation financière, inégalités. Ces sujets étaient alors invisibles, on les prend aujourd’hui en pleine figure. Je n’imaginais pas à l’époque que ces problèmes finiraient par toucher le monde entier». (Libération, 23.10.2016)

Présent en France pour cette parution, Russel Banks nous livre quelques traits de son métier d’écrivain «Si l’on fait une analogie, le temps d’un roman est comme un mur à construire. Il se compose de petites briques de temps plus court posées les unes après les autres. Ça commence avec un petit Moleskine que j’ai toujours avec moi dans lequel je consigne mes notes. Puis j’écris sur un plus grand Moleskine avant de transférer tout ça dans l’ordinateur beaucoup plus pratique pour les corrections. /…/ Je viens de commencer un nouveau roman. J’ai 76 ans. Je sais que j’aurai presque 80 ans quand il sera terminé. Je ne pourrai plus me lancer dans une autre période de trois ans après. C’est donc le dernier. Je sais que j’aurai encore envie d’écrire après. Je me concentrerai donc sur des nouvelles qui ne me prennent qu’une ou deux semaines. Pour écrire un roman, il faut être capable de retrouver un très haut niveau de concentration jour après jour pendant une très longue période, 1 000 ou 1 500 jours d’affilée. Cela demande une énergie physique et mentale très importante. Cela devient donc difficile en vieillissant. » (M le magazine du Monde, 21.10.2016).

American Darling

Une fois n’est pas coutume, ce roman semble avoir fait l’unanimité au sein du Café Littéraire. Ceux-là même qui hésitaient à s’engouffrer dans la densité des 570 pages en sont ressortis éblouis. Impossible en effet de lâcher l’histoire d’Hannah Musgrave, alias Scout, alias Dawn Carrington, alias M’ame Sundiata, la narratrice, une petite Américaine gâtée, une American Darling née de famille aisée, qui va avancer hors norme tant sur le plan de ses actions que sur celui de ses convictions, croyances, émotions, choix, décisions, relations,… Une femme libre, authentique, militante, (un miroir féminin de Banks, why not ?), qui, après s’être engagée en 1966 dans un mouvement pacifiste, part clandestinement au Liberia, épouse à Monrovia Woodrow Sundiata, un jeune ministre africain chrétien, a trois garçons, s’investit dans la protection des chimpanzés et se trouve bien malgré elle embarquée dans l’histoire (avec un grand H) de ce « petit pays africain provincial et arriéré » (p. 282) qui, dès 1979, va vivre de tragiques « années de bouleversement » (p. 288) et sombrer dans la guerre civile.

Lors de la parution du roman, Banks ne cache pas sa colère contre l’impérialisme américain « Ce livre est le plus noir que j’ai écrit. Pas vraiment désespéré, mais pessimiste, oui ! Pauvreté, misère intellectuelle, fondamentalisme religieux, patriotisme débridé, politique internationale insensée font aujourd’hui que les Etats-Unis ne fonctionnent plus comme une république. Tous les idéaux – justice, égalité, liberté – qui ont fondé ce pays ont disparu. L’Amérique est un empire qui met la guerre au service de sa stratégie économique. Tout cela me met en rage. » (Telerama, 03.2008). Dans American Darling, l’Amérique ne fait plus rêver : «Il n’y a pas grand-chose de plus à dire. C’était le 10 septembre 2001, une ère encore plus sombre allait commencer» (p. 570).

Outre la force et la beauté des descriptions des paysages, des mœurs, des événements, l’habileté à mêler histoire vraie et fiction est un mode d’écriture que revendique Banks : « Les réalités sociales, historiques et géographiques jouent un rôle important dans la fiction, à différents niveaux. Tout d’abord, elles offrent à mes personnages un contexte historique. /…/ ces réalités offre la possibilité de donner des détails concrets, de créer une réalité palpable. Pour cela, il me faut mener des recherches, trouver des informations. Par exemple quand j’écris un livre sur le Libéria, si je dis qu’ils prennent leur petit déjeuner, il faut que je sache ce que les Libériens mangent au petit déjeuner afin que la scène soit plausible. Enfin, j’aime utiliser des personnages historiques dans mes œuvres, des gens qui ont vraiment existé. /… dans American Darling, Charles Taylor qui est aujourd’hui en prison à La Haye. Je ne fais pas un travail de journaliste ou d’historien. Dans mes romans, j’en fais des icônes. Je n’écris pas des biographies sur eux mais je sais que si je les mentionne, une certaine image va apparaître dans l’esprit du lecteur et lui permettre de pénétrer dans la fiction. Par exemple, dans American Darling je mêle personnages fictifs et historiques. J’aurais pu inventer un pays, un dictateur appelé John Smith mais quel intérêt ? C’est plus pratique de se servir de la réalité. » (Entretien 16.04.2008).

On apprécie tout particulièrement l’originalité de la construction. Les ruptures du récit correspondent aux ruptures de la vie d’Hannah, à ses aller-retour entre les USA et le Liberia, à ses aller-retour entre son présent et son passé, entre ses vécus et ses réflexions, comme un mouvant reflet des multiples faces de son personnage, peut-être aussi une version du Rêve Américain tel que le décrit la narratrice : « Pouvoir repartir de zéro, changer de forme, disparaître et ressurgir plus tard en étant quelqu’un d’autre. Pouvoir survivre au meurtre délibéré de son propre passé » (p. 379). Autre originalité, Hannah s’adresse fréquemment à son lecteur comme pour tricoter le sens de sa vie : «je vous raconte ces choses parce que je commence à avoir confiance en votre patience, votre bienveillance et votre esprit d’ouverture» (p. 368). Banks donne à voir un personnage dont il dit « Ce que l’on comprend finalement au sujet d’Hannah, c’est qu’elle tente de découvrir et de dire la vérité sur sa vie en toute honnêteté. Si le lecteur connaît ses faiblesses, c’est uniquement parce qu’elle les confesse. Parce qu’elle se juge avec moins d’indulgence que la plupart d’entre nous» (Entretien 16.04.2008).

La discussion du Café Littéraire se focalise sur le personnage d’Hannah, une vie comme «un éternel carambolage», «un tourbillon de besoins et de désirs conflictuels», un caractère d’une étonnante complexité, un portrait qui nécessite l’interprétation du lecteur pour tenter de soulever «les masques».

Banks ne juge pas; comme Hannah, il narre sans état d’âme ; il n’épargne pas le lecteur. Les choses existent, les événements se produisent, les actions se succèdent, «le tempérament l’emporte toujours sur l’idéologie» (p. 221). Au lecteur de se forger son opinion, de tenter de croire «au cheminement nébuleux et tortueux en direction de la justice universelle» (p. 239), au lecteur de s’indigner de la violence et de l’incurie de la politique internationale, de dénoncer les folies guerrières et les petits arrangements avec les pouvoirs, de saisir le caractère inexorable du choc des cultures, de comprendre la cruelle complexité de l’être humain.

On relirait bien encore un peu de Banks…

Compte-rendu du Café Littéraire du 15 novembre 2016