Agenda

Mardi 14 novembre à 18h à la médiathèque de Saint-Pierre, nous lirons un des titres de cette prolifique rentrée littéraire, Souvenirs de la Marée Basse, le dernier roman de Chantal Thomas (Seuil, 2017).

Sophie Bessis

En lien avec le Festival Visions d’Afrique, nous accueillons Sophie Bessis pour son ouvrage Les Valeureuses, Femmes Tunisiennes d’hier à aujourd’hui, qui retrace les vies singulières de cinq Tunisiennes de l’Antiquité au monde moderne (Elyzad, 2017).

Anny présente Sophie Bessis, agrégée d’histoire, journaliste à Jeune Afrique, militante à la FIDH (Fédération Internationale des Droits de l’Homme), chercheuse à l’IRIS (Institut des Relations Internationales et Stratégiques, Paris). D’abord spécialisée dans l’économie politique du développement et dans les relations Nord-Sud, elle a publié entre autres L’Occident et les autres, histoire d’une suprématie (La Découverte, 2001). Elle s’interroge aujourd’hui sur la question complexe des nouvelles hégémonies religieuses et identitaires face à la mondialisation de la société, notamment dans son essai La Double Impasse, L’universel à l’épreuve des fondamentalismes religieux et marchand (La Découverte, 2014). Elle traite de la question des femmes au Maghreb, au Moyen-Orient et en Afrique subsaharienne ; on pourra lire Les Arabes, les femmes, la liberté (Albin Michel, 2007).

Sophie Bessis partage sa vie entre la France et la Tunisie, comme bon nombre de ces citoyens des deux rives qu’on pourrait nommer les « Dedans, dehors » en empruntant le titre de son récit à la première personne (Elyzad, 2010).

Les Valeureuses

Sophie Bessis a retenu cinq femmes mythiques : la Phénicienne Elissa (ou Didon) fondatrice de Carthage (IXème siècle avt JC ?), la sainte musulmane soufie Aicha Sayida Manoubia (XIIIème siècle), la princesse ottomane Aziza Othmana (XVIIème siècle) et deux icones du début du XXème siècle, Habiba Menchari, figure féministe avant l’heure et Habiba Msika, tunisienne de confession juive, chanteuse et tragédienne.

Elle s’en explique ainsi : sachant que l’Histoire est une grille de lecture du présent, narrer l’itinéraire de ces femmes, dont le destin individuel d’exception a embrasé l’imaginaire collectif, permet de montrer la multiculturalité de la tunisianité et le caractère millénaire du combat des femmes dans ce pays. La Tunisie est un pays politiquement jeune (la première constitution date de 1840) qui a besoin d’histoires pour raconter ses 3000 ans d’Histoire. Sophie Bessis tente de reconstituer des parcours représentatifs d’un engagement bien que la documentation lui fasse souvent défaut « tout ce qui a trait à sa biographie est formé de récits épars, souvent contradictoires, parfois incohérents » (p.112) ; « pendant des siècles/…/ les femmes constituaient l’angle mort des récits des chroniqueurs et des historiens » (p.113) ; « pour la majorité des historiens la femme est frappée d’invisibilité » (p.129) ;

Selon Sophie Bessis, il y a pour les femmes deux façons d’entrer dans l’Histoire. Soit ce sont des héroïnes, des guerrières, des femmes qui défendent leur patrie, qui agissent par la force comme le feraient des hommes ; soit ce sont des rusées, des intrigantes, qui font la politique du sérail, agissant efficacement en arrière-plan, « la ruse reste un attribut incontournable du féminin » (p.83). Elle conviendra bien volontiers qu’elle aurait pu évoquer quelque femme poétesse, quelque lettrée, et cite Ste Perpétue et sa servante Félicité, martyres chrétiennes mortes à Carthage en 203.

Sophie Bessis tisse le fil conducteur entre ses différentes Valeureuses dans un bref épilogue. Elles sont toutes, à des niveaux divers, représentatives d’un esprit libre, rebelle, voire transgressif. Elles ont toutes osé aller à l’encontre de ce qui devrait être la place de la femme dans une culture traditionnelle, brisant les tabous sans crainte des représailles. Elles sont toutes talentueuses et belles (la femme DOIT être belle). Elles ont toutes des destins remarquables, avec des fins parfois tragiques (Didon se suicide par le bûcher du haut de l’Acropole, Habiba Msika la diva est brûlée vive par un amoureux éconduit, Habiba Menchari ne prend pas part au combat féministe, elle sombre dans une forme d’atonie dépressive). Ce sont toutes des femmes qui ont fissuré des murailles.

Notre attirance irait vers le personnage de Habiba Menchari parce que, dès 1925, elle pose la question du port du voile. Sophie Bessis reproduit intégralement (y compris les erreurs d’orthographe) le discours dactylographié que Habiba a prononcé en 1929 (p.149) pour une conférence intitulée « la femme musulmane de demain, pour ou contre le voile ». Ce n’est qu’en août 1956 que Bourguiba, président du conseil, fera voter le Code du Statut Personnel, une législation émancipatrice (p.164). L’auteur, quant à elle, a une préférence pour Aziza Othmana, la princesse philanthrope du XVIIème siècle qui a légué son nom à l’hôpital de Tunis.

Regards sur la littérature tunisienne

Nous poursuivons notre périple tunisien avec quelques questions sur la littérature. L’éditeur Elizad publie bon nombre des auteurs contemporains ; citons Yamen Manai qui vient de recevoir le Prix francophone des cinq continents 2017 pour son dernier roman L’Amas Ardent et qui est l’un des auteurs invités du Festival Visions d’Afrique. Sophie Bessis évoque également Ouatann, le roman d’Azza Filali, et encore Fawsia Zouari, Le corps de ma mère (Gallimard, 2016). Elle précise cependant que si on ne peut pas parler aujourd’hui de mouvement littéraire tunisien, on peut en revanche souligner la grande créativité de la production cinématographique comme celle de l’expression théâtrale et la part prépondérante qu’y prennent les femmes.

 

Nous remercions sincèrement Sophie Bessis qui nous a ouvert une porte originale sur l’Histoire de la Tunisie et peut-être ainsi invité à suivre ce qui se joue dans ce pays depuis la Révolution de la Liberté et de la Dignité (que nous appelons à tort La Révolution de Jasmin).

Compte-rendu du Café Littéraire du 16 octobre 2017