Agenda

Le 21 février 2023, place à la littérature grecque contemporaine avec Athos le forestier, un roman de Maria Stefanopoulou (Cambouraki, 2014)

On a lu, on lira

Paradis, de l’écrivain tanzanien Abdulrazac Gurnah, prix Nobel de littérature 2021 (Denoël, 2021)

L’Obscur, de l’écrivain irlandais John McGahern (Sabine Wespieser, réed 2022)

Je suis une île, un récit autobiographique de Tasmin Calidas, une autrice éleveuse de moutons aux Hébrides (Dalva, 2022)

Pour aller plus avant dans la littérature grecque, on recommande vivement Gioconda de Nikos Kokantzis (L’Aube, 2011) et Au Fond de la Poche Droite de Yannis Makridakis (Cambourakis, 2018)

On partage quelques impressions à propos d’auteurs morts récemment, Christian Bobin et Russell Banks

Mrs Dalloway

La biographie de Virginia Woolf offre une passionnante lecture tant on y trouve écho à son œuvre. On se réfère à l’ouvrage de Viviane Forrester (Livre de Poche, 2011) qui met en lumière les différentes facettes de sa personnalité comme de son écriture. Il s’agit de détricoter les légendes à propos de son parcours de vie, de sa fragilité psychologique ou de son aura d’icône féministe. Il s’agit de souligner le génie d’une autrice d’avant-garde qui sait le pouvoir des mots, excelle à verbaliser les émotions, sait donner sens aux plus petits instants, et comme son héroïne, Clarissa Dalloway, «faire des incursions dans l’esprit de l’autre ».
Publié en 1925, Mrs Dalloway, le quatrième roman de Virginia Woolf, n’a pas pris une ride : vif, acerbe, drôle, tendre, lyrique, élégant, engagé, novateur, audacieux, bouleversant, impressionniste, les qualificatifs ne manquent pas, même si sa lecture se révèle plutôt exigeante. En effet, suivre la journée de Clarissa, à Londres, c’est se laisser embarquer dans le flot de son monologue intérieur, c’est reconstruire le puzzle de sa déambulation, certes au rythme imparable de Big Ben, mais surtout au fil labyrinthique de ses observations, rencontres, conversations, souvenirs ou réflexions.
C’est aussi partager la complexité de ses relations avec ses proches ; avec son époux, Richard, « un chic type, un peu limité, qui déclarait qu’un honnête homme devait s’abstenir de lire Shakespeare », avec Peter Walsh, son amoureux de jeunesse, muni de « son vieux couteau à manche de corne dont il ne s’était pas séparé depuis trente ans » ; avec « son Elizabeth », sa fille de dix-sept ans, « comme une jacinthe qui aurait été privée de soleil » ; et sa relation avec « Sally Seton, est-ce que ça n’avait pas finalement été de l’amour ? ». C’est un jour de juin 1923, en hôtesse parfaite Mrs Dalloway prépare sa réception ; pourtant dès la première page, on sait que « quelque chose de terrible était sur le point de survenir /…/ elle avait perpétuellement le sentiment qu’il était très très dangereux de vivre, ne fût-ce qu’un seul jour ».
C’est enfin, si on évoque d’autres ouvrages, (La Traversée des apparences, publié lorsqu’elle n’a que vingt-cinq ans et dans lequel figure déjà le personnage de Clarissa Dalloway, ou Les Vagues, préfacé et traduit par Marguerite Yourcenar, ou La Promenade au Phare) constater la récurrence d’éléments significatifs de l’écriture woolfienne : la folie et la lucidité, la tentation du suicide et le goût de la vie, l’émancipation de la femme et l’acceptation des conventions de la bonne société, la présence de l’eau, l’inexorable écoulement du temps, etc. Bref, à un siècle d’intervalle, la modernité de Mrs Dalloway ne se ternit pas, en témoigne la récente traduction de Nathalie Azoulai.


Les Heures

Initialement, Virginia Woolf avait choisi The Hours pour titrer cette journée du 15 juin 1923 à Londres, probablement en référence au roman de James Joyce, Ulysse qui égrène le temps d’une journée à Dublin, le 16 juin 1904

Publié en 1998, The Hours, le roman de Michael Cunningham est un brillant hommage à Mrs Dalloway. Comme un jeu de miroirs, il raconte un jour dans la vie de trois femmes. Leurs récits s’entrecroisent et elles semblent, à distance, partager leur désillusion douce-amère sur le temps qui passe, les amours, la mort. Les chapitres intitulés Mrs Dalloway sont ceux de Clarissa Vaughan, l’éditrice ; on est à la fin du XXème siècle à New York. Dans les années 20, à Londres, Virginia Woolf, l’autrice, élabore le scénario de son prochain livre : « Mrs Dalloway ira chercher des fleurs. Elle aimera. Une jeune fille… elle reviendra à la raison … elle épousera un homme raisonnable … » En 1949, à Los Angeles, Laura Brown, est la lectrice du roman de Virginia Woolf. Si la jeune femme s’efforce d’être une mère et une épouse parfaite, elle préfère se perdre dans les livres et, ce jour-là, c’est avec Mrs Dalloway qu’elle fugue. En croisant les époques et en réutilisant les prénoms woolfiens, Cunningham établit une connivence entre les regards que ces trois femmes portent sur leur destin ; chacune « aurait pu avoir une vie aussi riche et dangereuse que la littérature » ; il invite en outre le lecteur à déceler de subtiles correspondances avec le texte source.

On évoque quelques-uns des passages de Woolf et de Cunningham qui se font écho ; par exemple, la scène de l’attroupement (un taxi londonien qui voiture quelque célébrité devant Buckingham vs la cohue que génère la présence de Meryl Streep lors d’un tournage), le baiser (Clarissa et Sally vs Laura et Kitty), le bouquet de roses en gage de déclaration d’amour ratée (celle de Richard à Clarissa Dalloway vs celle de Sally à Clarissa Vaughan), et bien sûr la défénestration (celle de Septimus, trentenaire revenu traumatisé de la Première Guerre vs celle de Richard, atteint du sida).

Reste à revoir (ou découvrir) l’adaptation cinématographique de Stephen Daldry pour parfaire cet hommage à Virginia Woolf.

Café littéraire du 24 janvier 2023 : Mrs Dalloway, de Virginia Woolf et Les Heures, de Michael Cunningham