C’est avec un réel plaisir que nous reformons notre cercle pour notre rentrée littéraire.

Le calendrier des prochaines séances :

Le 6 octobre, Marie-France Boireau, auteur de Aragon, romancier de la Grande Guerre et penseur de l’Histoire (Presses Universitaires du Septentrion, 2013), présente à Oléron pour assurer une conférence de l’UTL, nous parlera d’Aragon, et plus spécifiquement de Aurélien, le quatrième roman du cycle romanesque Le monde réel. Aurélien, paru en 1944, est disponible en col. Folio.

Le vendredi 23 octobre, nous devrions rencontrer Allain Glykos pour la sortie de son dernier ouvrage, Poétique de Famille, sept 2015, Escampette Editions. Cette séance reste à confirmer.

Le mardi 3 novembre sera consacré aux lectures de La Rentrée Littéraire, celle des prix qui, comme les feuilles, tombent en automne (589 romans, français ou traduits en français), et surtout celle des membres du Café Littéraire qui feront part de leurs découvertes, de leurs livres préférés, ou détestés, bref de toutes ces nouvelles publications qu’on voudrait partager.

Nous avons déjà retenu :

  • La septième fonction du langage, de Laurent Binet ;

  • Boussole, de Mathias Enard ;

  • La Terre qui penche, de Carole Martinez ;

  • L’Imposteur, de Javier Cercas ;

  • Un Amour impossible, de Christine Angot

  • La dernière nuit du Reis, de Yasmina Khadra

  • Délivrances, de Toni Morrisson

Valérie nous souffle quelques-uns de ses titres du moment :

  • Martin Amis, La Zone d’intérêt

  • Agnès Desarthe, Ce cœur changeant

  • Sorj Chalandon, Profession du père

  • Christophe Boltanski, La Cache

  • Jeanne Benameur, Otages intimes

  • Anne Marie Garat, La Source

  • Brigitte Giraud, Nous serons des héros

  • Paul Lynch, La neige noire

  • Boualem Sansal, 2084 – La fin du monde

La séance conjugue la présentation de La leçon d’Allemand de Siegfried Lenz (1968) et celle de Echapper, le dernier roman de Lionel Duroy (2015).

Jean-Pierre nous offre un rapide aperçu de la littérature allemande du XXème siècle, et plus particulièrement du roman d’après-guerre. En exposant des fragments du « fascisme ordinaire », Siegfried Lenz, comme Gunther Grass, dans Le Tambour, posent la question du « sentiment de culpabilité collective » d’un pays confronté à son passé nazi, entre « impossibilité de vivre en paix avec ce passé » – c’est la ferme position de Siegfried Lenz, et «refus que les jeunes Allemands soient victimes de leur propre histoire », c’est la conviction de son ami Gunther Grass.

Le roman La leçon d’allemand, qui vaudra à Lenz un immense succès mondial, évoque la façon dont le nazisme a embrigadé les esprits et comment beaucoup de citoyens ont fait « leur devoir » sans conscience critique. « Nous, dit le peintre, nous autres rêveurs, nous pensons toujours qu’ils n’oseront pas faire ceci ou cela, mais regardez-y de plus près ; ce que beaucoup estiment infaisable, ils le font, ils osent le faire. Leur force, c’est qu’ils ne reculent devant rien. » (Lenz, Chapitre 10). « Quant à moi, force m’est de constater qu’il n’y aura jamais de fin, jamais de trêve » (Lenz, Chapitre 12).

Mireille présente le scénario de La leçon d’allemand, le récit du jeune Siggi, vingt chapitres où alternent son passé d’enfant de dix ans, observateur de l’endoctrinement et son présent de jeune délinquant, à vingt et un ans, rédacteur contraint à « répéter son histoire ».

Ce qui fait la force de ce fabuleux roman est, entre autres, la complexité et l’intensité des traits de ses multiples personnages. On avance avec Siggi, le narrateur, fils de Jens Ole Jepsen, officier de police, homme de devoir, qui doit surveiller leur ami Max Ludwig Nansen pour lui interdire de peindre. Siggi vit entre deux mondes ; le monde austère de sa famille, une mère taiseuse, un père qui obéit autant à sa femme qu’à la loi nazie, qui se complait dans la soumission à l’autorité, qui renie ses enfants par devoir ; et le monde de la tolérance et de l’ouverture d’esprit du peintre Nansen qui le prend sous son aile.

On souligne également le rôle du paysage du SchleswigHolstein. Lenz, qui fut aussi scénariste, peint avec une extraordinaire subtilité l’atmosphère de cette province entre mer du Nord et mer Baltique, qui impose à ses habitants une vie rude. Cette région exceptionnelle inspira le peintre Emil Nolde (Nansen dans le roman). Françoise, lectrice germanophone, souligne la beauté des évocations de paysages du roman de Lenz tels qu’elle a pu les admirer in situ. L’écriture de Lenz est à cet égard admirable : « le flot franchissait les barrières de sable qui bouchaient les rigoles, se précipitait en ruisseaux écumants à travers le watt bien lisse, remplissait les mares et les fossés ; la marée faisait surnager des herbes… » (Chapitre 11)

La leçon d’allemand, c’est aussi une leçon d’écriture. Siggi a rempli plusieurs cahiers, il s‘est tout entier plongé dans son terrible devoir de mise en mots, dans ce défi qui consiste à vouloir dire l’indicible « encerclé par mon petit monde, assailli par les souvenirs, débordé par les faits, hanté par la certitude que le temps n’arrange pas les choses » (Chapitre 20).

On peut alors tisser des liens entre le roman de Duroy et La Leçon d’allemand. Duroy avait largement éclairé son entreprise lors de l’entretien avec J. Savigneau pour la présentation de Echapper à Cita’Livres. « J’ai tellement aimé ce livre que j’aimerais habiter dedans, y entrer et ne plus en sortir ».

Nous l’imaginons volontiers parcourant cette région brumeuse à la recherche des fantômes du roman de Lenz : « je vais pouvoir me tenir là, sur le seuil de la cuisine, chaque jour, et autant d’heures que je le voudrai, guettant le passage des nuages, celui des oies sauvages, les variations de la lumière, dans quelques semaines les premiers signes du printemps. ». L’éventuelle écriture d’une suite, tout comme la quête des traces de l’histoire de Siggi et des œuvres du peintre Nolde, laisse insensiblement place à une découverte de soi, isolé dans le décor du roman, flottant entre fiction et réalité.

Si certains d’entre nous apprécient sa capacité à s’exposer sans tabou et à tracer les méandres de ses émotions, si d’autres apprécient le fait qu’il nous ait fait découvrir ou redécouvrir le roman de Lenz, et le peintre Emil Nolde, d’aucuns regrettent qu’il parle encore de lui-même, de ses rapports avec les femmes, ou encore qu’il emprunte (ou cite ?) de trop larges extraits du roman de Lenz.

Chacun a pu feuilleter les deux ouvrages d’art apportés par Gérard et Jean-Pierre :

Emil Nolde, Unpainted pictures. Hatje Cantz Publishers) ;

Emil Nolde (1867-1956). Edition Réunion des Musées Nationaux, Exposition au Grand Palais, Paris, 2009

Compte-rendu du Café Littéraire du 22 septembre 2015