Confirmation de la prochaine séance : le vendredi 23 octobre, à 19h, nous rencontrerons Allain Glykos pour la sortie de son dernier ouvrage, Poétique de Famille, (et la réédition de N’en Parlons Plus) sept 2015, Escampette Éditions.

La séance du 6 octobre est animée par Marie-France Boireau, auteur de Aragon, romancier de la Grande Guerre et penseur de l’Histoire (Presses Universitaires du Septentrion, 2013). L’entreprise de recherche de M.F. Boireau est de comprendre comment l’Histoire est revisitée par l’imaginaire du romancier Aragon.

La conférencière a choisi d’aborder avec nous Aurélien, le roman d’Aragon qu’elle préfère.

Quelques éléments pour situer Aurélien : paru en 1944, le quatrième roman du cycle romanesque Le monde réel a été écrit lors de la Deuxième Guerre Mondiale.

Ce roman met en scène un personnage qui n’a jamais réussi à revenir tout à fait de la Première Guerre Mondiale, « il ne s’en était jamais remis ». Aurélien mène, dans le Paris des années 1920, l’existence oisive d’un rentier, à la dérive. Spectateur désengagé de sa propre vie, il attend de découvrir l’amour et semble se satisfaire de liaisons sans lendemain. La rencontre avec Bérénice, est loin d’être un coup de foudre « La première fois qu’Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide. Elle lui déplut ; enfin. »

Est-ce un amour partagé ? Bérénice recherche la compagnie d’Aurélien qui, semble-t-il, ne répond pas à ses avances. La vie les sépare. Aurélien est contraint de travailler dans l’usine de son beau-frère. Au début de la Seconde Guerre Mondiale, Aurélien, officier, se replie dans un village et retrouve Bérénice. Il lui avoue : « Vous avez été ce qu’il y a de meilleur, de plus profond dans ma vie. » Peu après, dans la voiture qui les emmène, une rafale de mitraillette allemande atteint mortellement Bérénice.

Les membres du Café Littéraire qui ont lu ou relu les quelque 635 pages du roman sont plutôt partagés sur ce que Paul Claudel avait nommé « un roman-poème ». Ecrit en même temps que le célèbre « Il n’y pas d’amour heureux », Aurélien peut en effet être lu comme une romanesque histoire d’amour, sur fond de peinture de la société parisienne des Années Folles, dans laquelle la belle écriture de l’auteur se révèle dans l’expression de la subtilité et de la complexité des sentiments : « Il se dit que leur histoire, cet échec si complet de l’amour, ce démenti de la vie à l’amour, et aussi cette illusion de l’amour, incompréhensible …». On évoque Belle du Seigneur d’Albert Cohen.

On repère, dans le roman Aurélien, le projet de rendre compte du caractère encore profondément misogyne de la société française de l’entre-deux-guerres et de l’émergence chez beaucoup de femmes d’une quête d’identité et de libération : Bérénice s’essaye à devenir une femme libre, et Blanchette et Rose aussi à leur façon.

L’histoire d’Aurélien, rappelle M.F. Boireau, est aussi celle d’un monde qui sombre. Le symbole mortifère du masque de noyée de la Seine est omniprésent. Le héros d’Aragon n’a rien de positif. Aurélien, c’est l’histoire du lent déclin d’un homme autant que celui d’une génération, l’histoire d’un échec amoureux autant que celui d’une vie. On s’interroge : Aurélien devenu pétainiste ? M.F. Boireau rappelle que la seconde partie, « l’épilogue » a été écrit a posteriori et Aragon dit dans sa préface qu’il a voulu « faire du gris ».

Aurélien est toujours perdu dans la vie, même s’il s’est casé. Nous voici revenus à Pierre Lemaitre, Au Revoir Là-Haut (voir séance du Café Littéraire du 11 février 2014). Comme Aurélien, Edouard et Albert, les gueules cassées, savaient « que la guerre n’était rien d’autre qu’une immense loterie à balles réelles dans laquelle survivre quatre ans tenait fondamentalement du miracle.»

Aujourd’hui Aragon est communément plus reconnu comme poète que comme romancier. Peut-être la toute récente biographie écrite par Philippe Forest, ARAGON, (Collection NRF Biographies, Gallimard sept 2015) sera-t-elle un catalyseur pour découvrir ou redécouvrir Aragon ? En tout cas, la présentation de M.F. Boireau a plus que comblé nos attentes.

Compte-rendu du Café Littéraire du 6 octobre 2015