Fred Vargas, Pars Vite et Reviens Tard (2001. Éditions Viviane Hamy ou J’ai Lu)

Catherine, fervente adepte du « rompol », nous dit tout sur Fred Vargas, archéozoologue, titulaire d’une thèse en histoire traitant de la peste au Moyen Age, devenue auteure comme par inadvertance pour se distraire de son travail de fouilles archéologiques. On constate à quel point son parcours professionnel de chercheuse médiéviste éclaire la haute teneur de ses romans. Si les policiers de Vargas se vendent à des millions d’exemplaires, sont traduits dans 35 pays et ont donné lieu à diverses adaptations cinématographiques, c’est autant pour l’originalité des intrigues que « parce qu’on y apprend toujours quelque chose de passionnant ».

L’écriture d’un polar consiste en un premier jet, généralement assez rapide, qui permet de tracer le scénario autour d’un personnage clé ; pour Pars Vite et Reviens Tard, c’est le personnage du crieur, ancien marin, Joss Le Guen ; puis s’ensuit un immense et minutieux travail de documentation savante, éclairée, qui nourrit ses histoires et leur donne ce tour si particulier. Ainsi les informations sur la dernière peste de Paris en 1920 et sur la transmission du bacille par les rats n’apparaissent jamais comme des digressions mais bien plus comme des éléments significatifs de la complexité des situations et des comportements dans notre société. Vargas a un réel talent pour faire partager les connaissances de son domaine de spécialité ; on y trouve moult curiosités sur les légendes, les superstitions, les symboles, ou encore les animaux maléfiques, rat, loup-garou, crapaud, araignée et autre chauve-souris… Le roman policier est bien là comme révélateur des peurs collectives.

Le roman policier de Vargas respecte la règle de base, à savoir qu’il se tisse autour d’un crime qu’il s’agit d’élucider ; pourtant il n’est jamais ni sanglant, ni choquant. « Le livre, affirme-t-elle, doit donner envie de continuer à marcher ». Le policier de Vargas fourmille de subtils détails, de curiosités notamment linguistiques, de traits d’humour, de pertinentes réflexions qu’on ne découvre parfois qu’à la relecture.

Le policier de Vargas respecte également le genre en jouant sur la récurrence des personnages, ici le commissaire Adamsberg et les membres de sa brigade, Danglard, Violette Retancourt, etc. Adamsberg, comme tout bon héros de roman policier, ne semble pas vieillir. Dans Pars Vite et Reviens Tard, on apprend qu’il a « vingt-cinq ans de métier ». Comme Vargas elle-même, ses personnages sont aussi déroutants que savants ; elle les croque avec beaucoup d’humanité. Ils sont souvent déglingués, peu conventionnels, toujours attachants. Bien sûr, elle manie avec finesse l’art de conduire son lecteur sur de fausses pistes et le passé criminel de l’un ou le comportement marginal de l’autre ne justifient en rien qu’il soit le coupable. Elle avoue volontiers que Jean-Baptiste Adamsberg est d’une certaine façon « son double inversé ». Le commissaire apparaît pour la première fois dans L’Homme aux cercles bleus (1991) puis dans plus d’une douzaine de romans jusqu’à Quand sort La Recluse (2017). Surnommé « pelleteur de nuages » (par un collègue québécois dans Sous les vents de Neptune), il conduit ses enquêtes grâce à une sensibilité et une intuition hors normes, il déteste la paperasse et évite les ordinateurs, au contraire du capitaine Danglard, « tenace, précis, stylé, esprit organisé », qui « aime le papier sous toutes ses formes, de l’incunable à l’essuie-tout ».

Voilà bien de quoi nous donner envie de lire encore d’autres rompols !

En ce mois de mai, Fred Vargas a fait parfois la une pour la parution de L’Humanité en Péril, Virons de Bord toute (Flammarion), un essai qui traite des crimes contre la planète. On évoque ses divers engagements antérieurs et on lit un extrait de Nous y sommes, un court texte précurseur écrit en 2008 et dit par Charlotte Gainsbourg (voir la vidéo ou lire le texte). Aujourd’hui, sur cette question de la troisième révolution comme sur la collapsologie, les références et théories ne manquent pas ; astrophysicien, anthropologue, économiste, etc, chacun trouvera de quoi alimenter sa réflexion. On mentionne également le roman de Jean Hegland que nous avions chroniqué, Dans la Forêt (Gallmeister, 2017) à lire ou relire…

Agenda

Pour notre dernière séance, le mardi 25 juin 2019, nous partagerons « nos plus beaux exemples de roman d’amour ». Selon la procédure désormais installée, chacun apportera l’ouvrage de son choix pour en lire le début, ou un court passage significatif, ou la fin …, ou pour en résumer brièvement la teneur ou simplement justifier son choix.

Chacun est en outre invité à faire des propositions de lectures (thèmes, œuvres, auteurs) pour la prochaine saison.

Actualités

Frank Bouysse a eu le Prix des Libraires pour son fabuleux roman Né d’aucune femme (La Manufacture de livres).

Le prix Goncourt de la Nouvelle récompense Caroline Lamart pour Nous sommes à la lisière (Gallimard) et le Goncourt du Premier Roman revient à Marie Gauthier pour Court vêtue (Gallimard).

On a lu, on lira

Anne von Canal, Scott est mort /White out (Slatkine et Cie, 2019)

Alain Damasio, Les Furtifs (La Volte, 2019)

Marc Dugain, Transparence (Gallimard, 2019)

Yannick Haenel, La Solitude Caravage (Fayard, 2019)

Jean-Christophe Rufin, Les sept mariages d’Edgar et Ludmilla (Gallimard, 2019)

Chantal Thomas, East Village Blues (Seuil, 2019).

 

Fred Vargas, Pars Vite et Reviens Tard – Café littéraire du 21 mai