La saison 2018-2019

Voici venue la rentrée pour le Café Littéraire, saison 8 ! On retrouve pour cette séance consacrée au Règne Animal de Jean-Baptiste Del Amo, les fidèles amateurs de lectures (et de controverses) et on se réjouit d’accueillir les nouveaux. Avec un grand merci à l’équipe de la Médiathèque de St Pierre qui nous offre un espace ad hoc.

Agenda

La prochaine séance, le mardi 6 novembre, sera consacrée à L’insoutenable Légèreté de l’être de Milan Kundera (1984), Folio.

Lectures à partager

Parmi les livres lus cet été et/ou ceux de la rentrée, les participants ont commenté : Au Grand Lavoir de Sophie Daull (Philippe Rey) ; Trois fois la fin du monde de Sophie Divry (Edition Noir sur Blanc) ; Ravel de Jean Echenoz, une biographie romancée du compositeur (Minuit, 2006), sans doute à rapprocher de Les Forêts de Ravel de Michel Bernard que nous avions chroniqué en 2015 ; Camarade Papa (Le Nouvel Attila) de Gauz, un auteur franco-ivoirien découvert avec Debout-payé, la vie intérieure du vigile (2013) ; La Nuit des Béguines de Aline Kiner, un roman hommage à une communauté médiévale (Liana Levi, 2017).

Et aussi le volume 4 de l’Arabe du Futur de Riad Satouf ; les quatre volumes de Les Vieux Fourneaux (le volume 5 paraîtra en novembre prochain) la BD de Wilfrid Lupano et Paul Cauuet adaptée au cinéma.

Quelques mots pour partager encore nos impressions sur Le Lambeau (Gallimard, 2018) tant lire Philippe Lançon nous paraît incontournable.

La parole aux libraires

En attendant l’automne et sa traditionnelle distribution des Prix, que choisir parmi les 567 romans de cette Rentrée Littéraire ? Notre nouvelle libraire propose quelques pépites : Le sillon de Valérie Manteau (Le Tripode) ; Arcadie de Emmanuelle Bayamack-tam (P.o.l) ; A son image, de Jérôme Ferrari (Actes Sud). Elle dévoile en outre un étonnant roman graphique de l’américaine Ferris Emil : Moi ce que j’aime c’est les monstres, Tome 1 (Monsieur Toussaint Louverture), « 416 pages… monstrueuses » dit la critique unanime ! Et aussi L’Aliéniste, un petit roman de J.M. Machado de Assis (1839-1908) un des plus importants auteurs brésiliens de sa génération, (Metailie, 2015).

Elle annonce de prochaines rencontres, au mois d’octobre, avec Sylvain Tesson, avec Laure Dominique Agniel, auteure d’une biographie de Alexandra David-Néel : exploratrice et féministe (Tallandier, 2018). Dates et horaires à confirmer.

Jean Baptiste Del Amo, Règne Animal, prix du Livre Inter 2017

Dire que la séance fut tonique est certainement en deçà de la réalité ! Le roman de Del Amo ne fait certes pas consensus. Pour certains, ce fut une fascinante découverte, pour d’autres une relecture plus ou moins besogneuse ou étonnamment enrichissante, pour d’autres encore impossible de supporter cette avalanche de cruauté et crudité, de barbarie et de boucherie, de puanteur et de miasmes. Bref entre roman magistral ou pavé d’innommable porchitude, il y eut matière à polémiquer. Là où d’aucuns ont apprécié une tragédie au rythme époustouflant où se conjuguent lyrisme et violence, portée par la puissance d’un vocabulaire volontiers rare et précieux, d’autres s’agacent de ces surabondantes dégoulinades narratives et lexicales. Les uns retiendront probablement J.B. Del Amo dans la lignée des auteurs à lire absolument tant pour le fabuleux propos que pour la somptuosité de l’écriture, tandis que d’autres l’ont déjà remisé au placard parce que « c’est trop… trop lourd, trop excessif, trop répugnant, trop brutal, trop pessimiste ». Dès lors que Règne Animal s’ouvre à moult appréciations, chacun a eu loisir de lire un extrait à l’aulne de ses ressentis.

On connait peu de choses de ce jeune auteur largement primé, sinon qu’il est militant de la cause L 214, cet article du code rural qui précise : « Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce. ». Si pour la petite histoire, Del Amo évoque parfois John et Simone, ses deux cochons de compagnie, il dit fort son engagement pour rompre avec un monde où s’impose trop souvent la sauvagerie des hommes ; ce qui va de pair avec son plaisir de raconter, d’informer, tout autant que son choix de choquer, d’indigner : « J’aspire à une écriture organique /…/ un roman politique laisse le lecteur dans une zone d’inconfort ». (Cf entretien Le Livre sur la place, Nancy, sept 2016).

Règne animal dénonce la dérive d’une humanité acharnée à dominer la nature et Del Amo distille à l’envi les clés de sa fable : « le temps venu de la révolte», « La porcherie comme berceau de leur barbarie et de celle du monde. »

L’histoire se passe dans une campagne du Gers et traite de deux époques, début et fin du XXème siècle (1898-1918 puis 1981). Elle fait vivre, sur cinq générations, une famille de paysans enracinés dans un hameau plutôt isolé, et confrontés à ce que la nature offre de plus beau (ses sols, ses paysages, la puissance originelle de la vie) mais aussi de plus rude, de plus sauvage, de quasi barbare. Croqués par le verbe impitoyable de Del Amo, les individus qui persistent à vivre de ces terres âpres sont souvent borderline dans leurs singularités personnelles et/ou professionnelles : isolement, monde brutal, blessures horribles, maladies, alcoolisme, déprime, consanguinité, misère morale, comme si la violence des éléments générait celles des hommes et vice-versa : « il lui arrive de se demander si la porcherie a enfanté leur monstruosité ou si ce sont eux qui ont donné naissance à celle de la porcherie ».

La première partie est celle de la guerre de 14. On suit la descendance de la génitrice et du père ; puis celle de Marcel, ouvrier paysan, revenu gueule cassée de la boucherie guerrière, devenu éleveur de cochons à son retour au pays. Ainsi Del Amo donne-t-il à voir une singulière lignée de paysans-porchers. La seconde partie est celle du monde contemporain, de la PAC, « l’Europe, les groupements agricoles, ils ont foi dans le progrès, la technique, la croissance». Les descendants de Marcel et Eléonore sont restés au pays, ils ont opté, pas forcément de leur plein gré, pour l’élevage industriel du porc. Rendement, profit, exploitation exponentielle, traitement barbare, concentration du bétail, on patauge dans l’horreur absolue. Les portraits des personnages, créatures humaines et animales, sont brossés avec les tripes ; les événements s’enchaînent avec le rythme implacable du fatum.

En guise de bonus. Les dits de l’épisode final valent lecture à eux seuls : « Le verrat ouvre un passage entre les lianes. /…/ les ronces /…/ tissant une voûte dense et protectrice. Il sent l’odeur des hommes, lointaine et comme dissoute à travers les ans, étrangement rassurante. Il déblaie un coin et s’allonge contre un mur. Il garde l’œil ouvert et scrute la nuit.»

Café littéraire du 2 octobre 2018 : Jean Baptiste Del Amo, Règne Animal