Toni Morrison

Michèle présente les grandes lignes de la vie de Toni Morrison, professeur d’Université, éditrice, première auteure afro-américaine à avoir reçu le prix Nobel de littérature, en 1993. Les onze romans de Toni Morrison ont en commun de dire, sans tabou ni complaisance, ce qui n’a pas été dit de l’histoire des Noirs américains ; ils donnent voix aux anonymes, aux asservis, en particulier aux femmes, en conjuguant récit réaliste, références savantes ou mythiques, et imagination fabuleuse.

Anny rappelle les débuts de l’histoire des vagues migratoires et de l’esclavage aux Etats-Unis, éclairant fort à propos les événements clés du roman Un Don, que Morrison cale précisément en 1690. C’est en Virginie, là où fut implantée la première colonie en 1607, que l’auteure situe l’histoire de Jacob Vaark, de sa femme Rebekka, et de leurs trois esclaves, Lina, Sorrow et Florens. Partie de Londres, Rebekka va rejoindre son futur époux en Amérique dans un bateau qui n’est pas sans rappeler celui des pèlerins du Mayflower. Lorsque Florens trouve refuge chez la Veuve Ealing, Morrison brosse une scène d’exorcisme qui semble faire écho au procès des Sorcières de Salem, en 1692. Quant à D’Ortega, qui, via « le Don » de Florens, paie ses dettes au négociant Jakob, il résume à lui seul les pratiques esclavagistes dans les plantations de tabac. En outre, si Toni Morrison situe cette histoire en 1690, c’est bien parce qu’à ce moment-là, la question de l’esclavage n’est pas liée à celle du racisme.

La lecture des romans de Toni Morrison est loin d’être aisée, tant en raison du tragique et de la violence des situations que de la complexité de l’écriture. Un Don (2009) n’échappe pas à ce constat. Si lors de cette séance, d’aucuns ont apprécié de partager diverses interprétations, d’autres confirment que lire d’autres romans, – on a cité Sula, Beloved, Home – permet de se familiariser avec la récurrence des thèmes et un mode de dire exceptionnel où le véridique prend sens dans le discours fabuleux. Tout laisserait à penser que Toni Morrison, comme Lina, l’esclave amérindienne, « rafistola des rites négligés, mélangeant les remèdes européens et indigènes, les Saintes Écritures et le folklore ; et retrouva ou inventa le sens caché des choses » (p. 61). Dans les romans de Toni Morrison, affirme un de ses traducteurs, il n’y a pas de notes de bas de page ; Toni Morrison embarque ses lecteurs avec exigence.

A défaut d’un fil conducteur ou d’une évidente chronologie, on peut repérer quelques procédés narratifs. Florens, la fillette aux chaussures, que sa mère choisit de « donner » à Jakob, écrit sa propre histoire. Avec ce « Je », qui pilote un chapitre sur deux, Toni Morrison met le lecteur au cœur des émotions de son personnage et distille l’incompréhension qui perdure entre la fille et la mère, celle qui, agenouillée devant le maitre, a demandé « a mercy » (c’est le titre original du roman). Si Toni Morrison imbrique les récits des différents protagonistes évoquant de façon plus ou moins confuse leur propre itinéraire jalonné de traumatismes, c’est sans doute parce que l’histoire de l’esclavage est loin d’être écrite ; elle-même a consacré sa vie à reconstituer ce puzzle, en s’appuyant d’abord sur le regard des victimes. Avec ces voix plurielles, il s’agit de rassembler les bribes qui tracent l’Histoire, de dénoncer les oppressions et les souffrances, mais aussi de montrer la lutte solidaire pour la survie et peut-être sa foi en l’humanité : « Seule la fierté leur avait fait penser qu’ils n’avaient besoin que d’eux-mêmes, qu’ils pouvaient modeler ainsi la vie, comme Adam et Eve, comme des dieux venus de nulle part et uniquement redevables à leurs propres créations » (page 76).

Nous terminons cette séance avec les albums pour enfants écrits par Toni Morrison et illustrés par son fils Slade Morrison ; certains sont traduits en français (L’école des Loisirs. Gallimard Jeunesse).

On a lu, on lira

Miroir de nos peines, le dernier volume de la trilogie de Pierre Lemaitre (Albin Michel, 2019) ; Vie de Gérard Fulmard, de Jean Echenoz (Minuit, 2020) ; Une Machine comme Moi, de Ian Mc Ewan (Gallimard, 2020) ; Le Bal des Folles, de Victoria Mas (Albin Michel, 2019).

Quelques mots à propos du festival de BD d’Angoulême 2020 pour évoquer d’une part, la disparition de Claire Bretécher (peut-être l’occasion de retrouver Agrippine), d’autre part, les publications de Catherine Meurisse, première dessinatrice élue à l’Académie des Beaux-Arts. Aline nous recommande vivement deux albums : La Légèreté (Dargaud, 2016), Delacroix (Dargaud, 2019).

Agenda

Le Café Littéraire s’associe aux manifestations proposées par la municipalité de St Pierre d’Oléron pour célébrer le centenaire de la naissance de Boris Vian ; nous lirons L’Automne à Pékin, le mardi 24 mars.

Télécharger le programme complet du centenaire de Boris Vian

 

Toni Morrison, Un don – Café littéraire du 18 février 2020